Prototyper L’Expérience – Le Turc Mécanique

L’ensemble des techniques rapportées et illustrées ici sont issues de l’excellent ouvrage Pretotyping de Alberto Savoia, traduit en français par Elalami Lafkhi.

Rechercher, Prototyper, Tester : l’utilisateur doit rester au centre

Si le concept d’Expérience Utilisateur trouve de plus en plus d’adeptes auprès des concepteurs de produits et services numérique, force est de constater qu’une étape clef de cette méthodologie reste toujours très difficile à appliquer en France : celle du prototypage et du test.

Cet inconfort avec la notion de fabrication et de confrontation d’une idée à la réalité est certes compréhensible au pays du culte de la pensée abstraite, mais en même temps très paradoxal.

En effet, s’il est logique d’aller chercher dans la vie de véritables personnes des comportements concrets et des problèmes avérés, sources de constats tangibles pour imaginer des réponses adéquates, il est vain de penser pouvoir proposer des solutions efficaces sans tester leur pertinence auprès des utilisateurs visés.

Se pose alors pour le néophyte ou le marketeur la question du prototype. Car s’il lui arrive de s’improviser stratège, ethnographe ou créatif, la modélisation de ses idées d’innovations est une technique à laquelle son travail l’a rarement préparé.

Il existe pourtant de nombreuses façons simples et peu onéreuses de tester des idées et de concevoir des prototypes. Je vous propose de passer cinq d’entre elles en revue dans mes prochains articles, en commençant cette semaine avec la première d’entre elles : Le Turc Mécanique.

Le Turc Mécanique (ou Magicien d’Oz)

Le principe

Avant de vous demander comment ça marchera, testez les bénéfices que c’est censé produire.

L’histoire

Le Turc Mécanique tire son nom d’un récit aux airs de fable moderne, l’histoire de Johann Wolfgang von Kempelen, un inventeur hongrois qui aurait conçu un automate capable de battre des humains aux échecs, provoquant ainsi grande sensation à l’occasion de spectacles et expositions de curiosités.

En réalité, ce fameux « Turc Mécanique » n’aurait été qu’une marionnette absolument inanimée, et actionnée par une personne de petite taille tout à fait humaine et férue d’échecs, dissimulée à l’intérieur de l’installation.

Un autre nom donné au Turc Mécanique est le Magicien d’Oz, en référence au fameux livre de L. Frank Baum à la fin duquel Dorothée réalise que le prestigieux enchanteur n’est rien d’autre qu’une énorme installation sons et lumières actionnée par un petit homme en costume caché derrière un rideau.

Un exemple d’utilisation de ce type de prototype

Dans les années 1980, IBM travaillait sur le développement d’ordinateurs individuels et s’interrogeait particulièrement sur le devenir du clavier. En effet, à l’époque, seuls les secrétaires, écrivains, personnels administratifs et autres intimes de la machine à écrire avaient un usage aisé de cet accessoire, quand la plupart des utilisateurs tapaient encore laborieusement à un ou deux doigts.

IBM aurait alors planché sur un projet révolutionnaire pour l’époque : Speech-To-Text, un programme capable de reconnaître la diction de l’usager et de saisir textuellement ses propos en temps réel (40 ans avant Siri, oui).

A l’époque, développer une pareille innovation aurait représenté un coût faramineux. Aussi, avant de s’engager dans cette démarche périlleuse, Big Blue aurait procédé à une série de tests de ce concept visant à valider la valeur de cette proposition pour les utilisateurs visés.

Pour ce faire, ils ont fait venir dans une pièce plusieurs usagers potentiels et leur ont présenté un dispositif simple : un micro dans lequel il leur suffisait de parler pour qu’en temps quasi réel, leur propos soient retranscrits sur un écran en face d’eux.

En réalité, l’équipe n’avait même pas commencé à travailler sur le logiciel : c’était un opérateur de saisie on ne peut plus humain installé dans une pièce voisine, qui écoutait les instructions des testeurs et se contentait de saisir leur propos à l’aide d’un clavier traditionnel.

Cette série de tests simples et bon marché a permis de discréditer assez rapidement la valeur du projet pour IBM. En effet, passé l’effet d’émerveillement, les utilisateurs ont souligné un ensemble de points négatifs qui créaient plus de problème que le système n’en résolvait.

Pas de clavier, certes, mais quel environnement de travail approprié pour la possibilité de dicter sa saisie à voix haute ? Quid de l’inconfort pour les collègues dans un open space ? Des bruits parasites ou des conversations? De la confidentialité des écrits ? Comment discerner le texte et les commandes ordinateurs ? Autant de problèmes très concrets que seule une utilisation empirique permettait d’identifier.

IBM a alors réduit les dépenses de recherche sur ce projet, estimant son bénéfice trop risqué au regard des contraintes posées par le contexte d’usage. En considérant l’apparition très récente de Siri et Cortana, plus adaptés que le clavier, mais pour des situations de conduite ou de mobilité, on peut estimer qu’ils ont effectivement eut raison.

Voilà comment le fait de simuler fonctionnement d’un produit pour tester le coût/bénéfice de sa proposition de valeur peut contribuer à économiser beaucoup de temps, de ressources et d’efforts.

Un grand merci à Diane Saint-Réquier (aka @lactualaloupe) pour les relectures et corrections.

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